La numérisation des lames de pathologie et l'adoption du format DICOM (Digital Imaging and Communications in Medicine) transforment profondément le paysage médical, offrant des perspectives novatrices et de standardisation dans le domaine de la pathologie numérique. Cette évolution a été motivée par la recherche constante de moyens plus efficaces pour visualiser, partager et interpréter des images pathologiques, ouvrant la voie à une meilleure compréhension des pathologies et à des soins plus personnalisés.
La transformation de l'ACP (Anatomie et Cytologie Pathologiques) vers des lames virtuelles numérisées constitue une avancée significative. Les lames virtuelles, qui sont des représentations numériques haute résolution d'échantillons de tissus pathologiques, constituent une alternative précieuse à la microscopie traditionnelle. Afin de saisir pleinement cette transition, il est nécessaire d'examiner en profondeur les enjeux liés à la numérisation des lames et d'appréhender le rôle fondamental que joue le format DICOM dans ce contexte.
Les lames virtuelles (WSI) sont une représentation numérique à haute résolution d'un échantillon de tissu pathologique, obtenues par numérisation. Elles sont numérisées par des scanners de lames qui, composés d’un objectif de microscopie, d’une platine motorisée et d’une caméra permettent la génération d’un facsimilé numérique de la lame de verre en une minute. Il existe une dizaine de constructeurs de scanners dans le monde. Les principaux en Europe & en Amérique du Nord sont Hamamatsu, Leica, 3D Histech et Philips.
Selon une étude du "Journal of Pathology Informatics," les lames numérisées offrent une visualisation détaillée des tissus à l'échelle cellulaire grâce à leur haute résolution d'image et à une navigation numérique simplifiée. En éliminant le besoin de manipulation physique, ces lames facilitent le stockage numérique, le partage, et offrent des fonctionnalités interactives. L'analyse automatisée et la possibilité d'accéder à distance aux données renforcent leur précision et praticité, faisant d'elles une alternative avancée à la microscopie traditionnelle pour la recherche médicale.
La numérisation pose de nouveaux défis, notamment en ce qui concerne le format de lecture et la gestion du stockage des lames. En effet, une lame numérique est représentée par un fichier haute résolution de plusieurs dizaines de milliers de pixels, avec une taille variant de quelques centaines de Mo à quelques Go. En moyenne, chaque lame numérique atteint une taille de 1,3 Go. Ces fichiers image sont donc très volumineux, dépassant largement les exigences des examens radiologiques traditionnels. Cela soulève la question des formats appropriés pour la lecture, la visualisation, le partage et le stockage de ces lames numérisées.
Tous les fabricants de lames ont développé un format propriétaire pour la création de leurs images. Des formats variés tels que le JPEG, le PNG et le TIFF sont fréquemment utilisés pour la visualisation des lames numérisées. Ces formats exclusifs reposent tous sur une architecture tuilée et pyramidale. Les tuiles sont encodées en JPG, ce qui signifie qu'aucune lame virtuelle n'est exempte de compression, et elles sont organisées dans une structure pyramidale. Cela implique que plusieurs niveaux de zoom sont enregistrés, facilitant ainsi un accès rapide lors de la consultation. Cependant, cette structure pyramidale entraîne environ 30 % de redondance d'information dans chaque fichier.
Pour consulter ces lames, les différents viewers, ont intégré la possibilité de lire nativement ces formats propriétaires. Cette intégration s’est faite soit en intégrant des API fournies par les constructeurs, soit en développant les spécifications techniques des différents formats, soit en passant par une librairie open source partielle OpenSlide. Ces formats propriétaires sont en général très performants tant au niveau du scan que de la visualisation ce qui explique qu’ils sont aujourd’hui très majoritairement utilisés.
Cette performance tient aux investissements réalisés par les industriels d’une part et aux choix d’une structure tuilée et pyramidale, particulièrement adaptée à la navigation dans une très grande image. Cependant, ces formats ne répondent pas toujours aux normes médicales. Selon le "Journal of Digital Imaging" (Pianykh, 2018), l'utilisation de formats non normalisés peut entraîner des problèmes d'interopérabilité et de qualité d'image. Les alternatives, notamment JP2, ont toutes été abandonnées. La nécessité d’un format standardisé est donc plus nécessaire que jamais.
En 2006, un groupe dédié au DICOM en pathologie a été créé grâce à une initiative franco-américaine, avec la France représentée par l'Adicap et Jacques Klossa, membre du comité d’administration de Tribun Health en tant que premier co-chair Europe. Ce groupe, le WG26 du Nema, a rapidement publié deux guides techniques (TF 122 et 145) portant sur l'encodage des Whole Slide Images (WSI) en DICOM et sur le schéma de données associées.
Il est essentiel de noter que le DICOM ne se limite pas à être simplement un format d'image ; il englobe également une structuration des données associées et constitue un protocole de communication entre les trois composants majeurs de la chaîne d'imagerie : la modalité, la visualisation, et le stockage. Par exemple, dans le domaine de la radiologie, cela concerne le scanner, la station du radiologue, et le Picture Archiving and Communication System (PACS).
Le DICOM, initialement conçu pour la radiologie, a été étendu à la pathologie afin de répondre aux besoins croissants de normalisation des images médicales. Selon une publication de l'European Journal of Radiology (Carriero et al., 2020), cette extension a été motivée par la nécessité d'une gestion uniforme des données pathologiques, facilitant ainsi une intégration transparente dans les systèmes de santé existants. En d'autres termes, cette extension du DICOM à la pathologie vise à assurer une interopérabilité optimale entre les diverses modalités médicales et à faciliter l'intégration des données pathologiques dans les infrastructures de santé existantes.
L'adoption tardive du DICOM en pathologie s'explique par divers facteurs qui ont limité sa mise en œuvre par les acteurs industriels, qu'il s'agisse des vendeurs de scanners, des éditeurs de logiciels ou des infrastructures de stockage. Ces raisons comprennent des aspects techniques, tels que la gestion initiale des sujets de propriété intellectuelle et de brevets, l'incapacité historique du groupe de travail (TF) à traiter la fluorescence et le z-stack, ainsi que la gestion de grandes quantités d'annotations provenant de l'intelligence artificielle.
Des considérations de performance ont également contribué, notamment en raison du poids plus important des fichiers DICOM et de leur lenteur comparativement aux formats natifs. Les aspects économiques, tels que le coût d'implémentation et l'absence de demande solvable des clients, ont également joué un rôle, tout comme les considérations liées à l'écosystème – l'adoption du DICOM peut sembler peu utile si les autres composants de la chaîne d'imagerie ne sont pas compatibles.
Ainsi, les mises en œuvre du DICOM en pathologie se sont principalement limitées à des fins de recherche ou de marketing, souvent sous forme de produits dérivés des formats natifs. De plus, dans les cas où les scanners ne produisent pas nativement en DICOM, la transformation des images au format natif en format DICOM (dicomisation secondaire) a significativement compliqué le flux de travail en termes de temps et de volume de données, rendant cette approche peu envisageable dans des scénarios de production.
Pour surmonter ces obstacles, le projet "DICOMPathology", détaillé dans une étude de Clunie et al. (2018), a joué un rôle essentiel en fournissant des directives spécifiques pour l'intégration réussie du DICOM dans le domaine de la pathologie. Ces directives ont abordé des aspects techniques, tels que la gestion de la fluorescence, et ont aligné le DICOM avec les besoins uniques de la pathologie. En mettant l'accent sur l'interopérabilité, le projet a contribué à un changement d'attitude, facilitant ainsi l'adoption du DICOM dans la communauté pathologique et surmontant les obstacles précédents.
La dynamique actuelle laisse entrevoir un changement rapide, anticipant que le DICOM deviendra la norme dans les prochaines années. L'adoption généralisée de la pathologie numérique transforme profondément le paysage médical, rendant la standardisation incontournable. Cette nécessité s'accentue avec le rôle croissant des systèmes d'information médicale (DSI), devenus des acteurs décisifs, implémentant des stratégies institutionnelles centrées sur des données, notamment les images, qui requièrent des normes interopérables. Cette exigence est cruciale tant pour le dossier patient que pour l'intelligence artificielle multimodale et, bien entendu, l'archivage.
Ainsi, la plupart des établissements s'orientent vers la mise en place de solutions globales de stockage et d'archivage d'images, utilisant des serveurs sur site ou des solutions cloud de type VNA (Vendor Neutral Archive). Ces VNA sont conçues spécifiquement pour des formats et des protocoles DICOM. La pathologie, aux côtés de la radiologie, de la génomique et de la cardiologie, occupe désormais une place centrale, une position qui n'a jamais été la sienne dans les PACS traditionnels. La mise en œuvre de ces infrastructures d'images standardisées et neutres ouvre des perspectives significatives pour la transition numérique de l'Anatomie et Cytologie Pathologiques (ACP).
L'adoption du DICOM en pathologie présente des avantages majeurs. Selon l'American Journal of Clinical Pathology (O'Neill et al., 2021), l'utilisation du DICOM facilite une interprétation plus précise des images pathologiques, renforçant ainsi la reproductibilité des diagnostics et contribuant à une amélioration substantielle des soins aux patients.
Malgré quelques avancées, d'importants investissements industriels restent nécessaires le long de la chaîne pour garantir une couverture et une performance fonctionnelle équivalentes aux formats propriétaires existants. Certains scanners, tels que Leica et Hamamatsu, ont amorcé l'intégration de la production native de fichiers DICOM, tandis que certains éditeurs, notamment Tribun Health depuis juillet 2023, sont désormais capable de gérer des images DICOM. Parallèlement, les fournisseurs de VNA tels que GE Healthcare et Canon travaillent sur la mise en place des protocoles de communication et d'archivage nécessaires.
Dans le contexte des projets régionaux , il est fortement recommandé de privilégier une adoption résolue du DICOM, particulièrement dans le domaine de l'archivage. Les grands projets, avec leur capacité de financement, sont des moteurs essentiels pour faire progresser les solutions, dans l'intérêt tant des clients que des patients.
Des investissements significatifs dans l'intégration du DICOM jouent un rôle critique dans la transition vers des pratiques numériques en pathologie. Selon une étude menée par le "Healthcare Information Management & Communications Canada" (HIMCC, 2019), une intégration réussie améliore l'efficacité opérationnelle des laboratoires pathologiques en simplifiant les flux de travail et en favorisant une meilleure collaboration interdisciplinaire.
Les investissements dans l'intégration du DICOM jouent un rôle central dans l'amélioration de l'accessibilité aux données médicales numérisées, offrant ainsi des avantages significatifs pour les soins aux patients et la collaboration entre les professionnels de la santé.
Le DICOM, en tant que norme, apporte une contribution notable à l'accessibilité accrue des données médicales. Selon une recherche publiée dans "JAMA Network Open" (Mukhopadhyay et al., 2020), l'utilisation du DICOM facilite la recherche et l'accès aux images pathologiques. Cette facilité d'accès accélère le processus décisionnel clinique, permettant aux praticiens d'obtenir rapidement des informations cruciales pour une prise en charge plus rapide et plus précise des patients.
L'impact de cette accessibilité accrue ne se limite pas à la rapidité de la prise de décision. Elle favorise également une collaboration plus étroite entre les professionnels de la santé. La norme DICOM permet un partage efficace des données entre différents départements médicaux, contribuant ainsi à une coordination plus fluide et à une meilleure compréhension des cas cliniques complexes. Cela se traduit par une amélioration significative de la qualité des soins, car les équipes médicales peuvent collaborer plus efficacement, partager des informations pertinentes et élaborer des stratégies de traitement plus cohérentes.
Par ailleurs, le format DICOM sécurise les données principalement grâce à l'implémentation de protocoles de sécurité, en mettant particulièrement l'accent sur le chiffrement des données. Le chiffrement des données DICOM consiste à convertir les informations médicales en un code illisible sans la clé de déchiffrement appropriée. Cela crée une barrière efficace contre les accès non autorisés, garantissant ainsi la confidentialité des dossiers médicaux.
En résumé, le format DICOM joue un rôle essentiel dans la sécurisation des données médicales, soulignant son impact positif sur la confidentialité, la confiance des parties prenantes et la qualité des soins.
En conclusion, la numérisation des lames de pathologie et l'adoption du format DICOM sont essentielles pour l'évolution future des pratiques médicales. La transition vers des lames numériques permet aux professionnels de la santé d'accéder collaborativement à des images haute résolution, dépassant les limites traditionnelles de la microscopie. La nécessité d'une norme commune pour la visualisation et la gestion des images pathologiques est mise en évidence par les enjeux liés à la numérisation des lames. Le DICOM est la seule voie de standardisation durable, malgré une adoption initiale lente due aux spécificités des flux de travail pathologiques.
Les investissements industriels dans l'intégration du DICOM avec les systèmes existants améliorent continuellement l'efficacité opérationnelle des laboratoires pathologiques, assurant une transition en douceur vers des pratiques numériques. L'accessibilité accrue aux données médicales grâce au DICOM accélère le processus décisionnel clinique, offrant des avantages concrets en termes de qualité des soins aux patients. Les mesures de sécurité intégrées au DICOM réaffirment l'engagement envers la confidentialité des données médicales sensibles, renforçant la confiance des patients et des professionnels de la santé dans l'utilisation de cette technologie.
Dans un paysage médical en constante évolution, il est impératif de progresser dans la numérisation de l'ACP et l'adoption du format DICOM. Ces avancées représentent une étape significative vers une pratique diagnostique plus précise, collaborative et efficiente, offrant un potentiel considérable pour améliorer les soins aux patients et redéfinir la manière dont les informations médicales sont gérées et partagées dans le domaine de la pathologie.
Sources